Par Jean-Michel Sévérino et Jérémy Hajdenberg, co-auteurs d’Entreprenante Afrique 1
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L’Afrique n’est pas différente des autres continents : le dynamisme économique africain repose comme ailleurs en très grande partie sur les PME. La nouvelle classe d’entrepreneurs africains ayant émergé depuis dix à vingt ans apporte avec audace et innovation des réponses durables aux besoins d’un continent dont les économies sont encore fragiles.
Parallèlement, la situation démographique de l’Afrique s’annonce comme un défi. 133 millions il y a dix ans, les 15-24 ans sont aujourd’hui 172 millions et seront 246 millions en 2020. Alors que 74 millions d’emplois devront être créés d’ici là afin que le taux de chômage des jeunes évite simplement d’augmenter, 72% des jeunes Africains se disent attirés par l’entrepreneuriat.
Face à cette génération de bâtisseurs en train d’émerger, il est nécessaire d’aller plus loin dans le soutien à cette dynamique entrepreneuriale africaine génératrice de croissance économique mais aussi de lien social, tant au sein de l’entreprise que dans les communautés et l’environnement dans lequel elle s’inscrit.
Le soutien aux PME se concrétise bien sûr à travers diverses mesures juridiques, économiques ou techniques, mais il s’agit plus fondamentalement, pour les gouvernants africains, d’opérer maintenant un choix de société pour le futur en donnant un réel élan politique en direction de l’entrepreneuriat local.
Les PME sont souvent les victimes d’une économie chancelante et d’une puissance politique qui faillit à sa mission d’encadrement de cette dernière. Des aléas tels que les coupures d’électricité, la lenteur administrative et la corruption, ainsi que les retards de paiement peuvent mettre en péril la trésorerie d’une entreprise par exemple, et parfois sa survie même.
Si quelques mesures ont été destinées au soutien de certains secteurs très portés par les PME, elles ont souvent aussi été défavorables à d’autres, démontrant ainsi la complexité de réguler en faveur des petites et moyennes entreprises. Aussi la transversalité de telles mesures est-elle absolument primordiale dans la reconnaissance politique nécessaire à la promotion entrepreneuriale.
Les Small Business Acts (SBA) ou lois sur les petites entreprises sont des documents législatifs à portée transversale, en faveur des PME et de la création d’entreprises. Plus encore, les SBA sont l’outil œuvrant au rassemblement au sein d’une même discussion de toutes les parties prenantes de l’entrepreneuriat, à la fois publiques et privées. Permettant d’abord le dessin d’un cadre politique propice à l’entrepreneuriat, les SBA encouragent le dialogue permanent entre tous les partenaires : entrepreneurs, banques, professions comptables et juridiques, représentants institutionnels etc.
Les tentatives d’encadrement et d’encouragement de l’entrepreneuriat africain sont encore peu nombreuses. Quelques initiatives ont néanmoins connu d’intéressants résultats. Le SME Development Policy mis en œuvre en Tanzanie en 2003 est l’un de ces exemples aux répercussions généralement positives.
Depuis la mise en place de ce SBA tanzanien, la situation entrepreneuriale semble s’être considérablement améliorée, les chiffres parlant d’eux-mêmes : la création d’entreprises s’est envolée, simultanément à un important mouvement de formalisation des sociétés qui a mené à une multiplication par cinq du nombre d’entreprises identifiées par les autorités fiscales (190 000 en 2003, 1 035 281 en 2012). En 2006, 40% des familles tanzaniennes géraient un business, contre 35% six ans plus tôt.
Comment expliquer l’efficacité de ce SBA ? La réponse est simple. Il a permis d’apporter des réponses concrètes aux besoins premiers de l’entrepreneuriat tanzanien : l’enregistrement de nouvelles entreprises a été rendu possible non plus uniquement à Dar es Salam mais aussi à proximité de l’implantation de l’entreprise ; l’administration fiscale observe une attitude plus propice aux PME ; les entreprises locales sont désormais favorisées à l’occasion des procédures d’appels d’offres publiques ; des centres d’informations pour les entreprises et des incubateurs portent haut la mission de la formation à l’entrepreneuriat, en parallèle du travail des associations d’entreprises qui se sont emparées de sujets tels que l’utilisation des médias et du lobbying.
De la réflexion sur les divers exemples de SBA mis en œuvre en Afrique, il est possible de tirer quatre grands axes essentiels d’appui aux PME : l’amélioration du climat des affaires, le renforcement des compétences, l’ouverture des marchés aux PME et la facilitation de l’accès au financement.
Le premier axe est notamment abordé par le rapport Doing Business de la Société financière internationale. Celui-ci couvre dix thèmes relatifs à la facilitation de la vie d’une entreprise, et particulièrement l’écueil que représente la corruption administrative et fiscale pour les entrepreneurs.
Le deuxième axe, celui du manque de compétences du personnel des entreprises, est la cause à l’origine de plusieurs initiatives telles que la création d’incubateurs, l’éclosion d’agences de mise à niveau ainsi que des pôles de compétitivité (“clusters”) regroupant des entreprises complémentaires afin de nourrir et promouvoir les échanges, la coopération et le partage de ressources.
Le troisième axe, l’ouverture des marchés aux PME, consiste à accroître les opportunités pour celles-ci en leur permettant d’entrer et se maintenir sur un ou des marchés, de remporter des marchés publics locaux, ou encore de créer des partenariats locaux et internationaux.
Enfin, le problème soulevé par le dernier axe, la difficulté d’accès au financement, s’explique par de nombreux facteurs. La perception du risque par les banques qui appréhendent l’entrepreneur africain comme doublement “à risque” s’ajoute à la difficulté de ce dernier d’apparaître et se présenter conformément aux standards bancaires. Les problématiques de fonds propres, qui relèvent à la fois de l’accès au financement, mais aussi des domaines juridique et fiscal, sont également un défi pour l’entrepreneur.
C’est de ce dernier axe que les fonds d’impact investing ont fait leur mission, en faisant de la réussite d’un entrepreneur à réaliser une performance sociétale, une condition sine qua non à leur propre rentabilité.
Cet aperçu rapide et général des politiques pouvant être abordées à travers un SBA n’est pas exhaustif ni ne porte la promesse d’un succès certain. Il aborde plusieurs points d’intérêt afin de définir un cadre général d’action qui s’inscrit dans un monde changeant, en particulier le monde de l’entreprise en Afrique. Puisque le continent est voué à faire face à des pressions croissantes, notamment sociales et environnementales en ce qui concerne les PME, il est indispensable de mettre en place des politiques proactives en faveur des entrepreneurs. Ce sont eux qui, demain, apporteront des réponses aux problématiques multiformes du continent africain.
L’important n’est pas le nombre de programmes d’appui aux PME mais la qualité d’exécution de chacun d’eux, ainsi que la qualité des équipes et des moyens qui leur seront attribués. Il n’est également pas utile de réaliser de grands plans stratégiques en faveur des PME tant que les gouvernements africains continueront de leur verser les prestations qui leur sont dues avec tant de retard.
L’ambition décrite ici nécessite immanquablement un dialogue permanent entre toutes les parties, et notamment entre les instances administratives et les entrepreneurs qui manquent à l’heure actuelle de moyens de communication. La construction d’une telle relation de confiance porteuse d’un débat fertile doit nécessairement être le fruit à la fois de la volonté politique et de la volonté sociale impliquant les entrepreneurs et l’acceptation de la société civile.
1.
Odile Jacob, 2016
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