top of page
Writer's pictureEmma R Marmol

Moratoire sur la dette des pays africains : tout le monde doit participer !

Par Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l’ONG ONE

 

Ce blog fait partie d’une série sur la lutte contre le COVID-19 dans les pays en voie de développement. Visitez la page dédiée de l’OCDE pour accéder aux données, analyses et recommandations de l’OCDE sur les impacts sanitaires, économiques, financiers et sociétaux de COVID-19 dans le monde.

 

Alors que le monde est confronté à une pandémie mondiale d’une ampleur sans précédent depuis des décennies, les pays africains ont un besoin urgent de ressources financières pour répondre à la crise COVID-19 et à ses retombées économiques, sanitaires et sociales. La Banque mondiale estime que le continent connaîtra sa première récession depuis 25 ans. Les experts de la communauté internationale sont donc confrontés à un problème majeur : comment libérer de manière rapide et à grande échelle les financements nécessaires à la lutte contre la pandémie dans les pays les plus pauvres du monde ?

Il apparait aujourd’hui qu’une des meilleures solutions pour libérer rapidement des ressources financières supplémentaires est d’alléger la dette. En effet, le poids de la dette constitue un problème récurrent auquel doivent faire face de nombreux pays africains. A titre d’exemple, la Gambie alloue neuf fois plus de ressources au remboursement de sa dette extérieure qu’à ses dépenses de santé publique. La place qu’occupe le remboursement de la dette au sein des budgets nationaux des pays pauvres est colossale : en 2020, ce sont 22 milliards de dollars du service de la dette qui sont détenus par d’autres gouvernements, 12 milliards de dollars par des bailleurs multilatéraux, et près de 13 milliards de dollars par créanciers privés (investisseurs et banques commerciales). C’est donc un poids financier qui ne pourra être diminué que si tous les créanciers travaillent ensemble à un allègement généralisé des dettes publiques et privées.

Nous voici donc confrontés à un nouveau problème : les créanciers privés se montrent jusqu’à ce jour réticents à participer à l’effort du moratoire insufflé par le G20 et qui s’applique déjà à la dette publique des pays éligibles.

La participation des créanciers privés : une mise en œuvre compliquée mais primordiale

Suspendre la dette privée des pays les plus pauvres est en effet un projet dont la mise en œuvre s’annonce compliquée. Un accord doit être trouvé rapidement pour subvenir aux besoins créés par la crise qui a déjà éclatée sur le continent, et pourtant cela sera plus compliqué pour les créanciers privés qui ne bénéficient pas d’instances de coordination comparables aux pays du G20 ou aux banques multilatérales de développement. Il faudra aussi, malgré l’urgence, éviter toutes conséquences négatives non-intentionnelles, telles qu’une diminution de l’accès des pays bénéficiaires aux marchés financiers. Nous devons toutefois utiliser notre imagination pour contourner ces obstacles car l’absence de participation des créanciers privés à un moratoire s’avèrerait désastreuse pour plusieurs raisons :

  1. Le poids des créanciers privés est aujourd’hui trop important et pourrait lourdement ralentir les efforts des pays africains en vue de contenir et de combattre l’épidémie.

  2. Les créanciers privés pourraient faire face à une vague de défaillances des pays sur le remboursement de leur dette, dont l’impact négatif sur le système financier serait bien plus colossal qu’un processus organisé et accepté par tous d’allègement de ces paiements.

  3. Si les pays pauvres ne bénéficient que d’une annulation ou suspension de leur dette publique bilatérale, les gouvernements risquent d’utiliser l’argent ainsi libéré pour rembourser la dette due aux autres créanciers. On se retrouverait donc dans la situation indésirable où l’argent public serait utilisé pour rembourser les créanciers privés.

Des solutions sont d’ores et déjà sur la table !

Le constat de la nécessaire participation des créanciers privés à l’effort collectif en vue d’alléger la dette des pays africains est aujourd’hui largement répandu. L’Institute for International Finance a développé avec ses membres des principes sur la manière dont les créditeurs privés pourraient participer à la suspension de la dette du G20. Nous déplorons pourtant que cette participation reste jusqu’à présent volontaire, sans aucune garantie de la part des créditeurs individuels quant à leur engagement, et nous savons déjà que certains préfèreront poursuivre en justice les pays qui feront défaut plutôt que de participer à cet effort collectif d’allègement de la dette de pays qui en ont crucialement besoin.

Pour empêcher cela, il faut dès maintenant changer la législation dans les principales juridictions où les contrats de dette sont conclus, c’est-à-dire principalement les Etats-Unis et le Royaume-Uni, afin de protéger les pays qui ne pourraient pas rembourser leur dette privée à cause de la crise du COVID-19, de toute conséquence judiciaire.

Nombreux sont ceux qui ont déjà commencé à élaborer des solutions acceptables pour tous. Certains experts Africains ont mis sur la table une proposition de création d’un « véhicule de titrisation » (Special Purpose Vehicle). Afin d’aider à surmonter les obstacles liés à la dette privée, ce mécanisme subventionnerait les créanciers du secteur privé dans le seul but d’acheter de la dette africaine. Cela permettrait de réduire instantanément les coûts d’emprunt pour les pays africains, qui pourraient ainsi accéder à des financements moins coûteux pour lever de nouveaux fonds, ou pour pouvoir réduire les futurs services de la dette. Les pays de l’OCDE ont un rôle crucial à jouer, car ce mécanisme nécessiterait des financements provenant d’une coalition de banques centrales des pays de l’OCDE. Des facilités et des pratiques de marché similaires existent déjà dans les pays industrialisés, mais si cela était mis en place ce serait une grande première pour les pays africains.

La tâche n’est pas simple. Il faudra de la volonté et beaucoup de travail pour parvenir à rassembler les gouvernements et les créanciers privés autour d’un accord commun. Pourtant, sans une prise en compte de la dette privée dans cet effort d’allègement de la charge financière qui pèse sur les pays les plus pauvres du monde, leur capacité à résister à la pandémie mondiale s’en trouvera fortement affaiblie, les conséquences seront ressenties par tous et toutes. Il est probablement utile de rappeler à ce stade que cette pandémie est plus forte que chacun d’entre nous et que nous ne la vaincrons que si nous agissons ensemble. ONE appelle donc les créanciers privés, les banques multilatérales de développement et les gouvernements des Etats du G20 à travailler ensemble à des solutions communes pour permettre une suspension immédiate des remboursements la dette (publique et privée) des pays les plus pauvres, au moins pour 2020 et 2021.

Toutes les données disponibles sur l’état de la dette des pays Africains et des pays éligibles au moratoire du G20 sont disponibles sur la page Tableau de ONE.

La pétition de ONE demandant à tous les créanciers officiels, privés et multilatéraux de suspendre immédiatement le remboursement de la dette des pays les plus vulnérables pour 2020 et 2021 est accessible ici.

3 views0 comments

Comments


bottom of page