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Writer's pictureEmma R Marmol

Le climatologue et l’instituteur

Par Laurent Bossard, Directeur, Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE)

(English version follows)


Dans le deuxième opus des Notes ouest-africaines du Secrétariat du CSAO/OCDE («Les impacts climatiques dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest: Le rôle des sciences du climat dans l’élaboration des politiques » ), Carlo Buontempo et Kirsty Lewis du Met Office UK s’interrogent sur le rôle des sciences du climat dans la formulation des politiques.

J’avais envisagé d’intituler ce blog « Ne laissez pas les climatologues s’occuper (seuls) du changement climatique ! ». Après tout, les auteurs eux-mêmes ne soulignent-ils pas que les climatologues ne sont pas nécessairement bien équipés pour identifier les éléments essentiels du climat et du changement climatique au regard des problématiques humaines ? J’ai toutefois finalement renoncé  du fait d’une admiration sincère pour cette corporation dont la lourde tâche est de nous aider à construire un avenir meilleur pour la planète.  

La question posée est « en quoi des téraoctets de données produites par les modèles climatiques du GIEC[1], peuvent-elles être utiles à un agriculteur africain ? ». Si on lui demande ce dont il a besoin, ce dernier exigera probablement des prévisions météorologiques à court terme, plus précises et plus locales pour être sûr de semer au bon moment. Il semble qu’à ce stade il soit nécessaire de faire la distinction entre les météorologistes – susceptibles de répondre éventuellement à la demande du paysan – et les climatologues.

Les auteurs nous rappellent que le changement climatique  ne se résume pas au changement de climat ; plus chaud, plus humide, plus sec. Il porte aussi sur l’augmentation de la variabilité, ainsi que du nombre et de l’intensité des événements extrêmes. Donc oui, il serait très utile de fournir des prévisions météo plus précises. Mais pour autant la question de la prise en compte des dynamiques structurelles liées au changement climatique, ne serait pas résolue. Aider les producteurs agricoles à anticiper ces dynamiques et à gérer le risque, voilà ce qu’un « service climatique » devrait être en mesure d’apporter aux utilisateurs africains de la nature.  Tout le monde semble d’accord sur ce point mais la question du « comment ? » semble encore loin d’être résolue. L’idée développée dans la note est de se mettre à l’écoute des communautés agricoles et rurales pour comprendre comment le « facteur climat » s’insère dans les problématiques et les perspectives spécifiques qui sont les leurs.  Ce facteur climatique n’efface donc pas les autres facteurs ; il vient s’y ajouter. Selon les contextes, il peut être central ou moins important, déclencheur ou aggravant ; l’important étant de bien poser l’équation.

Ce message me semble important car il permet au passage de rappeler l’importance du « facteur humain ». En 1967, un instituteur du nom de Lédéa-Bernard Ouedraogo fondait dans son village de la province du Yatenga de l’actuel Burkina Faso, un « groupement Naam » ; adaptation d’une association traditionnelle communautaire Mossi : le Kombi-Naam, qui veut dire « le pouvoir aux jeunes ».  Sorte de coopérative centrée sur l’agriculture et l’environnement, le Naam s’appuie sur cinq piliers pour définir ses actions : ce que sont ses membres, ce qu’ils savent, ce qu’ils vivent, ce qu’ils savent faire et ce qu’ils veulent. Il génère ainsi des projets adaptés au milieu, répondant aux besoins et réalisables par les groupements. Il est donc par essence un outil de promotion et de développement des savoirs locaux. L’initiative a essaimé dans le Yatenga et dans tout le pays. La fédération nationale des groupements Naam compte aujourd’hui plus de 5 000 groupements et plus de 600 000 membres. S’appuyant sur le réseau Naam, le même Lédéa-Bernard Ouedraogo est, en 1976, l’un des initiateurs de l’association 6S (Savoir se servir de la saison sèche en savane et au Sahel). La fédération des groupements Naam et l’association 6S ont constitué la trame sur laquelle se sont diffusées des techniques simples et efficaces de ce que l’on appelle aujourd’hui « l’agriculture intelligente face au climat. Ainsi, là où des climatologues auraient pu dire « on ne peut plus cultiver car il n’y a pas assez de pluies », s’est propagé le « Zaï » (micro bassins de 30 cm de diamètres dispersés dans les champs),  ou encore le «  boulis » (micro-retenues permettant de stocker les eaux de ruissellement).

Dans les années 1980, dans la région de Maradi au Niger fortement touchée par l’aridification du climat, des paysans ont eu l’idée de laisser pousser naturellement les arbres sur leurs champs. La présence des arbres protège contre le vent et l’érosion, enrichit le sol des déjections des animaux qui se réfugient sous leur ombre, limite la température et l’évaporation donc le besoin en eau.  Ce qui désormais est nommé « régénération naturelle assistée » a permis selon le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de régénérer des centaines de milliers d’hectares au Niger, mais également au Burkina Faso, au Mali, au Tchad.

Dans les années 70 et au début des années 80, le GIEC n’existait pas. En lisant la Note, je me suis demandé ce que l’instituteur et le climatologue se seraient dit s’ils s’étaient rencontrés dans le Yatenga.  Je pense qu’une telle rencontre entre la science des modèles mathématiques et celle des savoirs traditionnels, aurait été mutuellement profitable ; et que le besoin de poursuivre les efforts de coordination entre disciplines, secteurs ou autres champs du développement est de plus en plus indispensable.

[1] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

The climate scientist and the teacher

By Laurent Bossard, Director, OECD Sahel and West Africa Club (SWAC) Secretariat

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In the second of the SWAC/OECD Secretariat’s West African Papers series (“Climate Impacts in the Sahel and West Africa: The Role of Climate Science in Policy Making”), Carlo Buontempo and Kirsty Lewis of the Met Office UK consider the role climate science plays in policy making.

I had thought about calling this blog: “Don’t leave climate change policy solely to climate scientists!”. After all, the authors themselves stress that climate scientists are not necessarily fully equipped to identify what the key components of climate and climate change are in relation to a population’s needs. In the end, I resisted the temptation because I sincerely admire this profession whose daunting task it is to help us build a better future for the planet.

The question is: “how can the terabytes of data generated by the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) climate models be of use to African farmers?”. If a farmer is asked what they need, their reply will probably be for more accurate and local short-term weather forecasts to ensure that their seeds are sown at the right time. It would seem therefore that a distinction has to be made between meteorologists – who are likely to cater to the farmer’s request – and climate scientists.

The authors of this paper remind us that climate change is not just about a change in climate towards hotter, wetter, and drier conditions, but also about an increase in the variability of the climate, as well as in the number and severity of extreme events. So yes, it would be very useful to provide more accurate weather forecasts but, for all this, the need to factor in the structural dynamics associated with climate change would remain unaddressed.  Helping farmers to anticipate these dynamics and manage risk is what a “climate service” should be able to offer its African users.

Everybody seems to agree on this issue but the “how” is apparently still far from being resolved. The argument developed in this paper is that agricultural and rural communities should be listened to in order to understand how the “climate factor” fits in with their specific problems, opportunities and prospects.  The climate factor does not, therefore, replace all other issues faced by African farmers, but is an addition to them. The climate factor could thus be of central importance or less relevant, a triggering or aggravating mechanism, all depending on the context. As a result, importance should be placed upon defining the issues and asking the right questions.

I believe this message is important because it reminds us of the importance of the “human factor”. Back in 1967, a teacher named Lédéa-Bernard Ouedraogo, from Yatenga province in what is now Burkina Faso, decided to create a  “Naam group” in his village –  an adaptation of the traditional Mossi community association called Kombi-Naam, or “power to young people”. A form of agricultural and environmental cooperative, the Naam was constructed on the following five pillars which define its actions: its members, what they know, what they experience, what they know how to do and what they want. Accordingly, the Naam creates projects which are tailored to the environment, which meet the needs of its members and which are achievable. It is, in essence, a tool which promotes and develops local expertise.

The initiative has now spread throughout Yatenga province and the entire country. The National Federation of Naam Groups now comprises over 5 000 groups and over 600 000 members. Building on the Naam network, Lédéa Bernard Ouedraogo was one of the creators of the 6S Association (“Savoir se servir de la saison sèche en savane et au Sahel”) in 1976. The National Federation of Naam Groups and the 6S Association formed the basis for disseminating straightforward, effective techniques for what is now known as “climate smart” agriculture. As a result, we see that areas where climate scientists might once have said crops could no longer grow because of a lack of rain, are now using “Zaï” (30cm in diametre micro-basins scattered throughout the fields) and “boulis” (small catchments for storing water run-off).

During the 1980s when Niger’s Maradi region was severely affected by aridification, farmers had the idea of allowing trees to grow naturally in their fields. These trees help to protect against wind and soil erosion, enrich the soil with the manure of animals taking refuge in their shade, and limit temperature and evaporation, and thus effectively reduce the need for water.  According to the French Agricultural Research Centre for International Development, “assisted natural regeneration” has made it possible to regenerate hundreds of thousands of hectares of land not only in Niger but also in Burkina Faso, Mali and Chad.

The IPCC did not exist in the 1970s and early 1980s and when I read this paper, I wondered what the teacher and the climate scientist might have said to one another had they met in Yatenga. I believe that such an encounter between the science of mathematical models and the science of traditional knowledge would have been mutually beneficial and that the need to further co-ordinate efforts between disciplines, sectors and other fields of development is becoming increasingly essential.

 

The English version of this post was originally published on the OECD Insights blog: http://wp.me/p2v6oD-2Be

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