Par Jacques Ould Aoudia, Chercheur en économie politique du développement et auteur de « SUD ! Un tout autre regard sur la marche des sociétés du Sud » (Ed. L’Harmattan, 2018)
This blog is part of an ongoing series evaluating various facets of Development in Transition. The 2019 “Perspectives on Global Development” on “Rethinking Development Strategies” will add to this discussion
Vu du Nord, un mystère demeure dans les relations entre Nord et Sud de la planète en matière de développement. Les préconisations des pays du Nord à la plupart des gouvernements du Sud sur la démocratie, la bonne gouvernance, les droits de l’homme, le respect de l’état de droit… semblent d’une telle évidence ! Pourquoi les pays du Sud ne suivent-ils pas ces conseils qui leur sont déversés depuis tant d’années pour leur plus grand bien, afin de rejoindre l’état envié des pays du Nord ?
Mais… sommes-nous sûrs d’avoir les bons outils pour comprendre la marche des sociétés du Sud ? Les connaissances sur les sociétés du Sud qui servent de fondements aux politiques de la plupart des bailleurs de l’aide au développement, sont basées sur l’idée que ces sociétés sont des répliques défaillantes et pathologiques de celles du Nord. D’où la nécessité de les aider à réparer les carences, à combler les manques qui les affectent (manques de routes, d’hôpitaux, de démocratie, de droits…) en cherchant à transférer au Sud les techniques et les institutions du Nord. La tentative d’exporter au Sud, pendant les années 2000, la « bonne gouvernance » est emblématique de cette démarche. Or la Chine, qui arbore de très mauvais indicateurs de gouvernance selon les critères du Nord, a réussi à s’arracher au sous-développement, avec d’immenses erreurs (Grand Bond en Avant, Révolution Culturelle), mais aussi les immenses succès qu’on lui connait.
Et si ces sociétés du Sud suivaient leurs logiques propres ? Avec leurs forces, leurs capacités, leurs règles, leurs imaginaires, mais aussi leurs difficultés, leurs craquements devant l’offensive de la modernité que la mondialisation conduite par le Nord répand partout ?
Des modes de fonctionnement différents au Sud et au Nord
Et si, au lieu de partir des manques, on cherchait à identifier les caractéristiques propres aux sociétés du Sud et du Nord ? Car de profondes différences existent entre les régulations sociales qui prévalent au Nord, fruit d’une lente évolution qui a séparé l’Europe du reste de la planète à partir du XVI° siècle, de celles qui prévalent au Sud. Bien entendu, cette opposition entre « Nord » et « Sud » est réductrice car ces deux espaces connaissent chacun une immense diversité. C’est pourquoi nous identifions les caractéristiques fondamentales qui séparent les sociétés du Nord de celles du Sud.
Loyauté versus Légalité
Une de ces différences fondamentales porte sur la nature des régulations sociales : au Sud, ce sont essentiellement les liens personnels qui structurent ces régulations, qui convoquent la loyauté (community-based societies), tandis qu’au Nord prévalent les relations impersonnelles mobilisant la légalité au moyen de règles formelles (rule of law-based societies). La prise en compte de cette différence, qui n’exclue pas, bien entendu, toutes les situations intermédiaires, permet de comprendre sans vision normative les écarts dans la marche des sociétés : le fonctionnement ici et là de la démocratie, d’un tribunal, d’un appel d’offre, d’un recrutement, d’un contrat…. D’évidence, nous savons que les régulations basées sur les règles formelles et impersonnelles, que les sociétés du Nord ont construites pas à pas, produisent une élévation de richesse et de puissance supérieure à celles basées sur les liens personnels. C’est ce qui a permis aux pays du Nord de dominer le monde au nom d’une modernité présentée comme universelle.
Mais aujourd’hui, cette domination absolue s’achève. Les pays du Sud contestent l’universel du Nord, et élaborent d’autres formes de modernité qui n’emprunte que partiellement au modèle dominant.
Au Sud, une double émergence
La planète connait en effet un profond rééquilibrage avec l’émergence de pays du Sud qui s’invitent à la table où les pays du Nord étaient jusque-là les seuls à écrire les règles du jeu. Mais aussi avec celle de milliards d’individus, dans tous les pays du Sud, qui ont acquis une voix sous l’effet de l’instruction, de l’urbanisation et de l’accès aux moyens digitaux. Ces bouleversements nécessitent à tous les pays du Sud de réviser leurs règles internes de gouvernance, mais aussi imposent de chercher à établir des relations entre Nord et Sud sur des bases nouvelles.
Réviser les approches, rafraichir nos connaissances
Aujourd’hui, la conjonction des défis environnementaux et des erreurs résultant d’analyses dépassées est lourde de tensions. Il est urgent de repenser les relations entre Nord et Sud et pour cela, de réviser la compréhension que le Nord a façonné sur la marche des sociétés du Sud.
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