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Writer's pictureEmma R Marmol

Avec ou sans, pendant et après le Covid-19, priorité aux réformes des systèmes de santé et d’éducati

Par Gilles Yabi, fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest

 

Ce blog fait partie d’une série sur la lutte contre le COVID-19 dans les pays en voie de développement. Visitez la page dédiée de l’OCDE pour accéder aux données, analyses et recommandations de l’OCDE sur les impacts sanitaires, économiques, financiers et sociétaux de COVID-19 dans le monde.

 

En Afrique de l’Ouest, les impacts de Covid-19 seront-ils catastrophiques ? La crise Ebola a révélé la très grande faiblesse des systèmes sanitaires des pays touchés à l’époque dans la région, Liberia, Sierra Leone et Guinée principalement. Si des enseignements importants ont été tirés, avec la mise en place de centres dédiés aux urgences sanitaires dans plusieurs pays, les systèmes de santé dans leur ensemble ne se sont pas particulièrement renforcés. Les ménages assument l’essentiel des dépenses de santé par rapport aux États, les inégalités d’accès aux soins sont frappantes, et les hôpitaux manquent cruellement de personnel qualifié, de matériel, de dispositif de maintenance des équipements et de médicaments, ainsi que de capacités d’accueil et, parfois, de salubrité. La crise du coronavirus exacerbera sans doute la situation. Il est plus que jamais primordial de renforcer et d’investir dans les systèmes de santé, sans quoi la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ne pourront faire face ni aux crises sanitaires, comme celle du Covid-19, ni aux nombreuses autres maladies infectieuses ou chroniques.


C’est par un improbable concours de circonstances que nous avons publié notre document sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest au moment où montait l’inquiétude sur l’arrivée du coronavirus dans cette région du monde. Lors de la conférence de presse organisée par le think tank citoyen WATHI, le 25 février, les journalistes dakarois étaient bien plus intéressés par notre avis sur la communication gouvernementale sur les premiers cas d’infections au Covid-19 au Sénégal que par la présentation des recommandations de notre publication sur la réforme des systèmes de santé. Nous avons pourtant bien tenté d’expliquer que cette nouvelle menace sanitaire ne faisait que souligner l’urgence de se mobiliser collectivement dans les pays d’Afrique de l’Ouest pour une amélioration significative des systèmes de santé, en commençant par tout ce qui pouvait être fait pour optimiser l’utilisation des ressources financières existantes limitées.

Un mois plus tard, le Sénégal, comme presque tous les pays d’Afrique de l’Ouest et une bonne partie de la planète, vivait au rythme du confinement, de la distanciation sociale, de l’état d’urgence et d’un ralentissement brutal de l’activité économique. On ne sait toujours pas au moment où ces lignes sont écrites si l’Afrique sera gravement, modérément ou très modérément touchée. Les observateurs les plus alarmistes craignent une hécatombe en cas de flux important de malades contaminés ayant besoin de soins intensifs. Dans presque tous les pays, le nombre d’appareils d’assistance respiratoire et de lits de réanimation ne dépasse pas quelques dizaines ; le plus souvent concentrés dans les hôpitaux universitaires des capitales.

Alors oui, si l’on devait avoir en quelques semaines des milliers de personnes touchées par les formes graves du coronavirus, il faudrait bel et bien se préparer dès à présent à une sombre période. On peut espérer certes qu’une opération logistique massive, comme celle entreprise déjà par le milliardaire chinois Jack Ma d’Alibaba avec l’appui de son puissant pays, permettra d’envoyer en un temps record dans les pays africains des tonnes de matériels médicaux. Mais le déficit n’est pas seulement matériel : il s’exprime au moins autant en termes de personnels de santé, médecins, infirmiers, aides-soignants, experts de santé publique, administrateurs… Le ratio de médecins (nombre de médecins pour 10 000 habitants) se situe entre 0.5 et 2.5 pour la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest, alors qu’il est par exemple de 7.2 au Maroc,12.7 en Tunisie et 18.3 en Algérie. La Chine compte 23 médecins pour 10 000 habitants, presque autant que le Canada ou le Japon. La disponibilité et la qualité de la formation des personnels de santé sont les premiers déterminants de la qualité d’un système de santé. Cuba, avec ses moyens limités et son ratio de 81.9 médecins pour 10 000 habitants, en est l’illustration la plus éclatante.

Les faiblesses des systèmes de santé sont connues et documentées. Dans sa contribution à la réflexion de WATHI sur le sujet, Francis Ohanyido, médecin nigérian, président de l’Académie de santé publique de l’Afrique de l’Ouest, rappelle que les dépenses de santé des ménages en pourcentage des dépenses totales de santé vont de 35 % au Burkina Faso à 72 % au Nigéria, et que des enquêtes menées entre 1990 et 2014 montrent que, pendant 25 ans, des millions de ménages ont déclaré s’être appauvris en raison de dépenses de santé imprévues. Malgré ces sacrifices financiers, les personnes gravement malades sont rarement sauvées, du fait d’un manque d’équipements et de compétences, de négligences ou d’un mélange de tous ces facteurs. Les drames humains sont quotidiens ; ils sont absorbés et digérés par la résilience des Africains et leur humilité face à la mort et au destin.

Les ménages paient d’autant plus pour leur santé que les États ont abandonné l’effort de financement du secteur aux donateurs étrangers. Ils ont oublié – à de rares exceptions près – l’objectif qu’ils s’étaient fixé en 2001 à Abuja : affecter 15 % de leurs budgets à la santé. Sans investissements publics importants, et alors que la croissance démographique ouest-africaine est la plus forte du monde, les systèmes de santé ne pouvaient que dépérir et laisser prospérer une offre privée de qualité extrêmement variable, peu ou pas contrôlée, et de surcroît seulement accessible à une minorité privilégiée.

En réalité, la réponse à une crise comme celle du coronavirus ne dépend pas seulement de la qualité du système de santé. Elle dépend de l’organisation des institutions publiques et de leur capacité à fournir des services. Quelles sont les conditions nécessaires à la généralisation des “gestes barrière” et en particulier du lavage systématique des mains ? Il faut informer les populations et que ces dernières soient en mesure de comprendre les enjeux ; qu’elles aient donc un niveau minimal d’instruction. Il est nécessaire que tous les ménages aient accès à une eau non souillée ; que même les plus pauvres d’entre eux aient aisément accès au savon en quantité suffisante. Dans quels pays ces conditions sont-elles facilement réunies à très large échelle ?

Le rôle de l’éducation – dans son sens le plus large et à tous les niveaux – est fondamental. N’est-ce pas plus facile de faire passer des messages sur la prévention face à la menace d’un virus dans un pays où l’écrasante majorité de la population adulte a eu des cours de sciences naturelles à l’école secondaire plutôt que dans un pays où seule une minorité est dans ce cas ? Comment contenir le danger représenté par les « fake news » sur le coronavirus si une part importante de la population n’a pas une connaissance élémentaire de ce qu’est un virus et n’est pas capable d’évaluer la crédibilité d’une vidéo mensongère circulant sur les réseaux sociaux ?

Coronavirus ou pas, les priorités de santé publique devraient rester les mêmes. Il faut mettre sur la table la question cruciale des ressources humaines et de leur répartition à l’intérieur de chaque pays ; renforcer les politiques de prévention par l’hygiène, l’alimentation, l’activité physique ; développer le recours à la téléphonie mobile pour la sensibilisation des populations ; augmenter le financement public de manière significative ; et mutualiser à l’échelle régionale les efforts de recherche et de développement pour produire localement nos médicaments. On ne devrait pas découvrir l’existence de brillants scientifiques africains dans la recherche médicale qu’en période de crise et continuer à négliger les institutions de recherche ancrées localement.

Ne nous y trompons pas, si les systèmes de santé européens sont confrontés à une crise sans précédent, ils ont tout de même permis d’allonger considérablement la durée de vie en assez bonne santé de la majorité des populations – et pas uniquement des personnes les plus aisées – au cours des dernières décennies. Nourrir une ambition similaire – mais avec des moyens adaptés – reste plus que légitime dans notre partie du monde, où beaucoup d’enfants et de jeunes continuent à mourir quotidiennement de maladies faciles à soigner.

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